L'Archiduc Eugène d'Autriche

Son père, l'archiduc Charles Ferdinand, décédé en 1874, et sa mère, Élisabeth, décédée en 1903, appartenaient à la lignée d'Este-Modène. De son grand-père, l'archiduc Charles, vainqueur d'Aspern, l'archiduc Eugène hérita de son goût pour les armes, de son affinité pour le combat et de ses exceptionnelles aptitudes martialesNé le 21 mai 1863 au célèbre château de Seldowitz en Moravie, il commença ses études militaires à l'Académie de guerre, puis rejoignit l'état-major général comme capitaine. Colonel, il commanda un régiment hongrois à Budapest, puis, comme major général, la 9e brigade d'infanterie à Olomouc, et enfin, comme lieutenant-maréchal, la 25e division à Vienne. En 1900, l'archiduc fut nommé général de cavalerie et chargé du commandement du 14e corps d'armée à Innsbruck. Son influence s'étendit encore davantage avec sa promotion, en 1908, au poste d'inspecteur général des troupes et de commandant en chef de la défense nationale pour le Tyrol et le Vorarlberg. Il est le fondateur du célèbre régiment viennois des Hoch- und Deutschmeister, ainsi que des cuirassiers Wrangel de Prusse-Orientale. « Notre Eugène », l’appelaient les habitants d’Innsbruck avec une affection presque tendre, et c’est également ainsi qu’il est connu dans l’armée, qui l’idolâtre et voit en sa nomination un signe de bon augure. Les soldats stationnés à la frontière serbe considèrent sa nomination comme le plus beau des cadeaux de Noël et un grand encouragement pour les victoires futures. Il jouit d’un respect presque aussi grand dans l’armée que celui dont bénéficiait autrefois son oncle, l’archiduc Albrecht, vainqueur de Custozza. Aucun autre Habsbourg vivant n’est aussi populaire auprès du peuple que l’archiduc Eugène, et surtout auprès de ses Tyroliens, dont il comprend si bien le caractère unique, qui s’attachent à lui avec un enthousiasme quasi fervent et seraient prêts à tout pour lui.

Cela lui confère un charme irrésistible, sa nature affable et décontractée ; sa beauté physique éclatante et sa force herculéenne y contribuent également de manière significative. Car à cet égard aussi, il surpasse de loin tous les autres Habsbourg. Sa silhouette élancée et d'une agilité exceptionnelle est saisissante de loin, et ses traits nobles et ouverts, avec leurs yeux souriants reflétant une subtile ironie, sont extrêmement séduisants

. Comme tout le peuple autrichien, l'archiduc Eugène aimait flâner. On pouvait souvent l'apercevoir arpentant d'un pas vif la Kärntherstrasse à Vienne ou la Theresienstrasse à Innsbruck, tapotant ici et là l'épaule d'un officier ou d'une connaissance et engageant avec eux une conversation amicale. Un cercle de curieux se forma rapidement et, l'appelaient affectueusement « notre Eugène ».. La popularité sans précédent d'Eugène devint si grande que – selon certaines rumeurs – même l'héritier, l'archiduc François-Ferdinand, finit par l'envier un tant soit peu.

En tant que militaire, l'archiduc, soldat brillant et cavalier parmi les plus valeureux de l'armée, se surpassait sans cesse et s'efforçait constamment d'approfondir ses connaissances par une étude assidue. Eugène, l'homme, se caractérisait par une grande bonté, une intelligence vive, une simplicité et une modestie exemplaires. Il abhorrait le faste ostentatoire, mais aussi les mœurs frivoles et libertines qui prévalaient par ailleurs dans les plus hautes sphères viennoises. Ainsi, celui qui, d'ordinaire, fuyait toute étiquette, pouvait souvent révéler la nature distante de l'archiduc. Ses intérêts étaient très variés, et il appréciait donc la compagnie d'érudits de différentes disciplines, avec lesquels il cherchait à apprendre lors de conversations stimulantes.

Ces réunions peuvent se prolonger jusqu'aux petites heures du matin, bien que l'archiduc soit un lève-tôt. Il a également beaucoup œuvré pour le développement des rivières autrichiennes et prend un plaisir particulier à en faire admirer la beauté aux visiteurs. L'archiduc Eugène a failli se marier à trois reprises, mais est finalement resté célibataire. Outre sa carrière militaire et la beauté du Tyrol, il voue une autre grande passion à la musique. C'est à elle qu'il doit ses plus beaux moments. Lui-même est un virtuose du violoncelle et du piano et possède une voix de baryton agréable et bien travaillée. Les soirées musicales données dans son palais sont réputées et, lors des premières à l'Opéra d'État de Vienne, on ne manque jamais de remarquer la silhouette imposante de l'archiduc Eugène. Il s'est toutefois toujours tenu à l'écart des manœuvres politiques complexes de son pays. Aujourd'hui, le prince Eugène vise à nouveau Belgrade, et les braves troupes qui l'aiment tant pourront prouver qu'elles seraient prêtes à tout pour lui.

Source : Illustrierte Chronik des Krieges 1914

Traduit de l'allemand par Cl. He.